Des mots. Des couleurs. De l’émotion.

19 sept. 2008

Océan Mer: d'une vague à l’âme

J’ai découvert ce livre par hasard au début de l’été. Il m’avait intriguée avec sa mise en page mêlant roman et poésie et son thème central : la mer. La mer sous toutes ses formes. La mer vue à travers les yeux de nombreux personnages. Ce livre pourrait s’appeler « la mer : ses vies et ses vices». La mer dans tout ce qu’elle a de plus magnifique et romantique, mais aussi vue à travers les nombreuses angoisses qu’elle suscite et cette fascination malsaine qu’elle peut exercer parfois. Ce livre est vraiment à part dans l’univers de la littérature. Inclassable dans une catégorie ou un style, il se démarque par son originalité tant au niveau de la forme que du contenu. On ne veut le catégoriser. C’est un livre qui se ressent, se vit au plus profond. Un livre qui laisse des traces de sel sur la peau et l’âme. On ne fait pas le tour du thème de la mer, on y plonge en plein cœur, on en est submergé. Elle nous berce, nous remue, de page en page, jusqu’à nous faire même toucher le fond parfois. Et quand elle le touche c’est avec violence, mais c’est pour nous permettre de voir la lumière qui scintille en surface… Barrico alterne de main de maître des passages doux, poético-romantiques et des passages crus, d’une cruauté sans nom. Le beau et l’affreux se côtoient sans cesse dans une étreinte unique. Du début à la fin, Barrico ne cesse de nous surprendre, d’une façon différente à chaque fois. Ce fut mon premier livre de Barrico, et je n’ai qu’une envie, en découvrir d’autres. Vivre encore l’expérience hors du commun que nous offre cet auteur de génie.

Extrait :
« La mer. La mer ensorcelle, la mer tue, émeut, terrifie, fait rire aussi parfois, disparaît, par moments, se déguise en lac ou alors bâtit des tempêtes, dévore des bateaux, elle offre des richesses, elle ne donne pas de réponses, elle est sage, elle est douce, elle est puissante, elle est imprévisible. Mais surtout, la mer appelle. Tu le découvriras, Elisewin. Elle ne fait que ça, au fond : appeler. Jamais elle ne s'arrête, elle pénètre en toi, elle te reste collée après, c'est toi qu'elle veut. Tu peux faire comme si de rien n'était, c'est inutile. Elle continuera à t'appeler. Cette mer que tu vois et toutes les autres que tu ne verras pas mais qui seront là, toujours, aux aguets, patientes, à deux pas de ta vie. Tu les entendras appeler, infatigablement. Voilà ce qui arrive dans ce purgatoire de sable. Et qui arriverait dans n'importe quel paradis, et dans n'importe quel enfer. Sans rien expliquer, sans te dire où, il y aura toujours une mer qui sera là et qui t'appellera. »

Océan Mer, Alessandro Barrico, Gallimard, 2002

7 juil. 2008

Jour après jour


Il est de ces jours pour lesquels le refrain des tambours battant est un pieu. Ces jours dont le semblable aux autres nous alourdit sans ménagement de plusieurs décennies, et le regard que nous traînons derrière nous n’a plus d’existence que par la fascination craintive de l’ultime consomption.

Les pages vaporeuses du quotidien se tournent au rythme de secondes infinies, dont la trace s’assèche en poignée de sable poussiéreux qui fuit entre nos gerçures.

Est-ce la fureur de ces jours vides qui nous pousse à espérer l’embrasement, est-ce le manque d’air de nos mondes éparpillés qui insuffle en nous le désir d’une histoire qui se consume?

L’étincelle au fond d’une poche, nous écrivons au coin d’une heure, sur un bout d’âme en dentelle, un conte dans lequel la terre s’est arrêté de tourner, une élégie où les nuits ne brillent qu’à l’ombre des songes ayant tout perdu. Vouloir s’endormir d’usure pour s'ouvrir à l’épaisseur d’une comédie dramatique, sans pudeur et sans regret, avec toute la passion d’un soupir accablé de visages opaques, avec la volonté de ne plus rien voir ou entendre.


D.V.

3 juil. 2008

Terre à taire...

« Des îles meurent de ne jamais percer la surface de ton regard.

Serait-ce des montagnes au loin que tu sirotes? Ton avenir, cette baignoire pleine de crevasses et d’herbe jaunie?

Tu appartiens au temps. À son irréductible filet. Mais tu portes en toi tous les espoirs d’un univers porté disparu. Tandis que souffle dans tes veines le vent de toutes les disparitions. À commencer par le sourire des étoiles.

Tu es venu pour cela, ici, sur terre. Pour ne pas savoir ce qu’il faudrait. Ton nom tel un désastre imminent, si mal assuré dans la diction.

Et la poussière qui te fait une belle épaisseur ontologique à l’être. Blessure profonde dans une noix de beurre.

Il y a ta vie entre la rue et maintenant. Tu n’en finis plus de ne pas la prendre. Et les pensées font le ménage dans la berceuse que tissent les heures tournées vers rien. Ici, sur terre. Sur quelques pieds carrés de solitude.

N’importe quel prétexte suffit pour se déplacer. Et tu marches beaucoup. Tu vis beaucoup. Dans si peu d’espace. Comète folle dans son dé à coudre. » Extrait de Personne n’existe de Guy Perreault, 1999.

Cet auteur québécois, qui gagnerait à être davantage connu, nous dresse un portrait noir mais si réaliste de la condition humaine. Tableau sombre, et pourtant teinté d’une profonde douceur mélancolique. On sent derrière ces mots durs un profond attachement de l’auteur au genre humain. Presqu’admiratif de cet être qui court à bras ouverts vers sa propre perte. C’est si justement, presque avec un amour empreint de tristesse que l’auteur se place auprès des étoiles et nous contemple, infimes particules en quête de sens, grains de poussière lactée se livrant l’éternel combat de la vie pour quelques millimètres de rêve. Tels des papillons qui se débattent au fond d’un bocal, désorientés et s’asphyxiant de vouloir trop respirer.

Il y a ta vie entre la rue et maintenant. Tu n’en finis plus de ne pas la prendre.

27 juin 2008

Blame...



Et bien ma première participation va concerner un manga unique dans son genre qui pour moi, transpire une intensité incroyable. Il s’agit de Blame de l’auteur Tsutomu Nihei.

Je ne dévoilerai pas ici l’histoire sur laquelle règne un mystère épais. C’est d’ailleurs sur ce dernier point que beaucoup de lecteurs ont émis la critique que l’auteur ne savait pas vraiment lui-même vers où il allait. Je dirait que cela n’a finalement que peu d’importance dans ce cas précis car Blame s’apparente plus à de la poésie graphique et atmosphérique qu’à une intrigue haletante (même si celle-ci est présente toutefois).

Au cours des 10 tomes que comporte cette série, on suit la quête mystique d’un personnage : Killy. Il est froid, violent, et peut-être immortel, à l’image du monde dans lequel il évolue à cela prêt que ce dédale infini de niveau n’atteint l’immortalité qu’au prix d’une expansion cancéreuse qui ne connaît de limite que dans l’improbable folie d’une mécanique sans âme. Nihei était architecte et son univers s’en ressent, les structures sont hallucinantes et grandioses par l’absence d’une logique humaine, l’espace et le temps forment une toile dont les fils se croisent d’une manière tout aussi chaotique. Ici le perpétuel, la mort et la vie sans psyché se confondent pour créer une alchimie aberrante.

Oui ce monde est glacial et les seules étincelles de vie rencontrées au hasard de ce dédale artificiel sont comme des bougies maladives écrasées inlassablement par le poids d’une fureur à la cause oubliée. Le héro accomplira sa mission quel qu’en soit le prix, trouver une parcelle de pureté dans la souillure biosynthétique environnante, à savoir des gènes humains purs. Au cours de son périple, il rencontrera parfois de l’aide mais le plus souvent il fera face à des simulacres de vie parfois malsains dont le seul salut se trouve dans la destruction.

C’est donc au cœur de cet univers déshumanisé que le lecteur frissonnera, perdu au sein d’un monde qui se façonne en nécrose, avec cependant l’espoir de rencontrer un rayon de pureté qui pourrait peu à peu étendre sa clarté aux différentes sphères et redonner au concept d’horreur sa dimension d’écoeurement que seule la vie peut définir.

D.V.



21 juin 2008

Fantaisies...

Chaque jour, je crée des fées. J’y mets tout mon être. Je les façonne, les habille de couleurs, un clown à la fois. Je les improvise contes de papillons. Je leur donne toute mon énergie cristallisée, espoir en fusion d’un lendemain sans chute. Parfois, elles parviennent même à s’envoler. Dernier clin d’œil du rêve avant la faille. Quand vient le soir, des confettis de solitude jonchent le sol en tableau impressionniste. Et le monde se contemple dans ce miroir vif, éclat de couleurs brisées.

16 juin 2008

Sambre

Rouge comme l’amour… noir comme la mort.
Aujourd’hui, j’ai envie de vous parler de Sambre, cette bande dessinée hors du commun réalisée par Yslaire. J’ai découvert cette série en 5 volets alors que j’avais tout juste douze ans, et qu’une camarade de classe m’a prêté les premiers tomes qui appartenaient alors à sa mère. Il faut savoir qu’Yslaire a commencé cette série en 1986, et que 3-4 ans se sont écoulés entre chaque tome. La série a donc eu le temps de toucher plusieurs générations de lecteurs. On comprend vite pourquoi chaque volume nécessite tant de temps : un travail de graphisme et d’écriture époustouflant. Mais j’y reviendrai plus tard. Ce fut pour moi, pourtant si jeune, le coup de foudre pour ces pages rouges et noires, aux graphismes travaillés et troublants, aux personnages torturés mais si attachants. Le sombre et le beau réunis pour le plaisir des yeux à chaque page. Chaque image est un tableau en soi. Finement travaillé, aux couleurs sombres et contrastées, afin de dépeindre à la perfection la malédiction de cette famille du XIXe siècle. Sambre, c’est un tout, une œuvre à part dans l’univers de la bande dessinée. Une pièce de maître qui se dévore des yeux. L’amour et la mort se conjuguent au fil des pages, exerçant sur nous cette fascination ambiguë qui nous pousse à poursuivre notre lecture tout en sachant déjà qu’on n’en ressortira pas indemne. Enfin, pour moi, Sambre, c’est avant tout Julie. L’héroïne aux cheveux noirs et aux yeux rouges, celle dont la flamme n’a d’égal que la souffrance qui la ronge, celle qui représente finalement la liberté, cette liberté impure mais vraie qu’on crache à la figure du monde. Julie, coupable et victime à la fois, qu’on ne peut s’empêcher d’aimer…
J’ai choisi d’aborder le côté esthétique de Sambre plutôt que de vous décrire l’intrigue et le contenu de la série. Pour plus de détails sur l’histoire, je vous conseille de visiter ce site consacré à Sambre qui est très complet et dont le design travaillé retransmet fidèlement l’atmosphère de la série.
T1. Plus ne m’est rien… T2. Je sais que tu viendras… T3. Liberté, liberté… T4. Faut-il que nous mourions ensemble? T5. Maudit soit le fruit de ses entrailles

12 juin 2008

Crépuscule

« Il y a un temps où ce n’est plus le jour, et ce n’est pas encore la nuit. Il y a bien du bleu dans le ciel, mais c’est une couleur pour mémoire, une couleur pour mourir. On voit ce qui reste de bleu, et on n’y croit pas. La dernière lumière s’en va. Elle a fini son travail qui était d’éclairer les yeux et d’orienter les pensées, et maintenant elle s’en va. Elle glisse du ciel sur les arbres, puis des arbres sur la terre. Quand elle touche le sol, elle est toute noire et froide. On regarde. Ce n’est qu’à cette heure-là que l‘on peut commencer à regarder les choses, ou sa vie : c’est qu’il nous faut un peu d’obscur pour bien voir, étant nous-mêmes composés de clair et de sombre.» Christian Bobin, Lettres d’or, 2003.

Que dire de plus? Christian Bobin dépeint à merveille, comme il sait tant le faire, la dualité du crépuscule, cette heure sur le fil entre le jour et la nuit, qui reflète avec une si grande vérité notre essence même. Mi-lumière, mi-ombre.

8 juin 2008

La vie est "drôle"

Pour commencer, un tableau que j’aime tout particulièrement «La Drôlesse» de Man Bellec. Il y a tellement de toiles de cette artiste bretonne qui me touchent que vous risquez d’en voir de temps en temps sur ce blog. Je vous en dirai plus sur Man Bellec un peu plus tard. En attendant, vous pouvez toujours visiter sa galerie en ligne. Et puis, voici ce que ce tableau m’a inspirée. S’il vous inspire vous aussi, n’hésitez pas à partager…

La vie est drôle à sa façon. Au comble de son ironie. Parfois un brin macabre, mais pitre souvent. Elle nous torture, le sourire en coin. L’œil corbeau qui ne peut plus expier. Et ce rouge si intense que les cerises ont perdu tout leur sang. Le désespoir au creux d’un couloir douteux, la misère humaine qui s’écoule lentement le long du dos. Je suis un clown sans chapeau. Et cette pensée dérisoire me fait sourire, c’est déjà ça.